Le débiteur défendeur avait donné mandat à un cabinet d’avocats danois dans une affaire antérieure, devant un tribunal danois. Les deux parties avaient convenu que le cabinet serait rémunéré en fonction du temps de travail consacré par le cabinet et suivant un taux horaires de 470 DM (240,31€).
Le cabinet d’avocats danois en tant que demandeur a assigné le débiteur devant un tribunal danois et y a obtenu la condamnation du défendeur au paiement de … à titre d’honoraires.
Le cabinet a ensuite demandé que la décision danoise soit déclarée exécutoire devant un tribunal allemand. Le Tribunal de grande instance et la Cour d’appel ont déclaré la décision danoise exécutoire.
Le défendeur exerce alors un recours devant le Bundesgerichtshof [1] et démontre entre autres que le demandeur a obtenu ce jugement en sa faveur suite à une présentation sciemment erronée du temps de travail consacré à l’affaire.
Le Bundesgerichtshof juge que la simple mise en évidence d’une disproportion manifeste entre le temps de travail consacré par le cabinet et les honoraires facturés au débiteur constitue un élément de preuve d’un détournement de procédure.
Le Bundesgerichtshof décide alors le 6 mai 2004 de casser la décision de la juridiction inférieure et de renvoyer l’affaire pour qu’elle soit à nouveau jugée.
Après avoir entendu les parties, la juridiction de renvoi déclare à nouveau la décision danoise exécutoire.
Le débiteur exerce à nouveau un recours devant le Bundesgerichtshof, par lequel il souhaite le rejet de la requête du demandeur. Ce recours conduit à l’annulation de la décision de la juridiction de renvoi et à un second renvoi de l’affaire, pour qu’elle soit à nouveau jugée.
Le 15 décembre 2005, le Bundesgerichtshof décide que la juridiction de renvoi n’a pas pris une décision en conformité avec la décision du Bundesgerichtshof du 6 mai 2004. C’est une erreur de droit qui nécessite l’annulation de la décision de la juridiction de renvoi.
Le débiteur défendeur avait démontré de manière plausible et concrète que la disproportion entre le temps de travail consacré par le cabinet et les honoraires facturés était un indice d’un détournement de procédure, comme le Bundesgerichtshof l’a constaté dans sa première décision.
La juridiction de renvoi a en revanche décidé que la disproportion entre le temps de travail consacré par le cabinet et les honoraires facturés au créancier était certes un indice quant aux intentions du créancier,mais qu’en l’abscence d’éléments objectifs supplémentaires, il ne pouvait être déduit une intention d’escroquerie de la part du cabinet.
La juridiction de renvoi a certes commencé son raisonnement à partir de la décision du Bundesgerichtshof du 6 mai 2004 et, en cela n’a pas méconnu l’obligation qu’elle avait de se conformer à cette décision.
Mais la juridiction de renvoi n’aurait pu décider en faveur du demandeur, que s’il avait présenté un esposé détaillé et convaicant des faits en réponse à l’argumentation du défendeur et, dans la mesure où le défendeur n’aurait pu remettre en cause cette nouvelle démonstration.
Or la procédure devant la juridiction de renvoi s’est déroulée tout autrement.Les arguments du défendeur pour une surestimation du temps de travail de la part du cabinet ont certes été réfutés par le demandeur. Mais l’argumentation du demandeur a ensuite été contestée de manière détaillée par le défendeur. Il s’est appuyé en grande partie sur une pièce qu’il avait présentée devant le tribunal de Land Essen, dans un autre procès, concernant le même mandat et le remboursement du surplus d’honoraires. Le défendeur y avait fait valoir que le demandeur n’était pas fondé à s’appuyer spécialement sur l’activité de ses collaborateurs pour justifier du temps de travail. Le défendeur a donc démontré de manière concrète et plausible un détournement de procédure.
Néanmoins, la juridiction de renvoi a refusé de rejeter la requête du demandeur.
Elle n’a donc pas pris en compte l’argumentation du défendeur et a violé le droit du défendeur à être personnellement entendu en justice par le juge (Art.103 I de la Loi Fondamentale).
Annotation
La décision du Bundesgerichtshof concerne une matière délicate. Depuis des siècles les honoraires des avocats en Allemagne sont réglés par la loi. D´habitude les avocats et les clients ne négocient alors pas le prix des prestations des avocats. Par conséquent les conventions d´honoraires, étant prévues par la loi sur les honoraires des avocats (Rechtsanwaltsvergütungsgesetz), étaient plutôt rares. La situation changera au mois de juillet 2006, date prévue par la loi. Désormais les honoraires devront être négociés et fixés par écrit.
Toutefois, les honoraires des avocats en Allemagne ne peuvent être soumis à un contrôle objectif en raison de la nature du travail fourni et manquent ainsi de transparence financière. Il n´y pas d´habitude ni d’usage. Par conséquent, il y a une grande différence entre les cabinets et la fourchette des taux horaires est immense. Ceci pourrait d´ailleurs être constaté de même en comparant la situation en Angleterre et en France.
Dans ce contexte, la décision du Bundesgerichtshof marque les limites de la facturation sans documentation des heures consacrées au dossier. Désormais, les avocats devront bien justifier au moyen de documents des heures consacrées au dossier et y indiquer les prestations fournies. À défaut, l´avocat risque de ne pas pouvoir réaliser ses honoraires.
Du point de vue des avocats étrangers, il convient de noter que même si le client, étant assigné devant les tribunaux du siège de l´avocat, ne se défend pas contre la créance, le risque d´échec persiste car le Bundesgerichtshof permet partiellement la révision au fond de l´affaire en cas de fraude. Par conséquent, une condamnation obtenue devant les tribunaux étrangers ne sera ni reconnue ni déclarée exécutoire lorsque le défendeur arrive a démontrer qu´il y a une disproportion entre le temps de travail consacré par le cabinet et les honoraires facturés.
Or le Bundesgerichtshof n’a pas saisi l’occasion qui lui était offerte de déterminer les critères de disproportion. Les tribunaux d´instance ne vont donc pas hésiter à contrôler les factures des avocats suivant leur libre appréciation. Il faudrait alors veiller à ce que les tribunaux allemands respectent les limites du règlement 44/2001, notamment le fait que la révision au fond soit interdite.
[1] Le Bundesgerichtshof est la Cour fédérale de justice allemande, qui correspond dans ses grandes lignes à la Cour de Cassation, mais le BGH n’est pas compétent en matière sociale.
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